Les trous énergétiques et les adaptations métaboliques
Dr Ph.Deprez
España

Les régimes classiques   hypocaloriques et  équilibrés, au cours desquels l'accent est mis uniquement sur le décompte mathématique des calories absorbées sur une période de 24 heures, ont été largement employés et continuent à l'être.

La perte de poids provient de l'absorption journalière d'un total calorique globalement inférieur aux besoins métaboliques calculés  de la personne désirant maigrir.

Ces besoins sont calculés au départ à partir de tables standardisées applicables en principe à tout  patient.

La ferveur de certains inconditionnels, intégristes de la sainte   calorie et de la privation tous azimuts, les a amenés à tenter l'expérience du "zéro calories" dont découlèrent  les ennuis bien connus, les résultats finalement décevants à long terme pour un coût social élevé (le jeûne absolu demande une surveillance hospitalière) et la reprise de poids obligatoire après la cure de jeûne.

La justification scientifique de ces régimes s'appuie sur une théorie émise vers 1930 par deux médecins américains (Johnston and Newburg, Univ Michigan) qui proposaient une cause univoque à toute obésité: seule l'alimentation globalement trop riche en calories par rapport aux besoins permettrait la prise de poids et, réciproquement, toute diminution des apports caloriques par rapport aux besoins devait amener un amaigrissement. C'était sans penser que les besoins pouvaient diminuer, que l'organisme  pouvait parfaitement vivre en utilisant moins de calories.

L'équation mathématique proposée a le double mérite d'être simple et de faire porter l'entière responsabilité de l'excès pondéral aux mauvaises habitudes ou au manque de volonté du patient, déchargant ainsi le praticien de toute responsabilité en cas d'échec.

Elle possède également, pour nos esprits cartésiens, l'incomparable avantage de permettre de quantifier ces excès, d'établir des tables de normalité, et donc de calculer des traitements considérés comme imparables car mathématiquement prévisibles.

L' équation classique  ne tient compte ni de la phénoménale capacité d'adaptation du métabolisme humain, ni des rythmes biologiques qui bercent notre alimentation, ni de la "préférence" chimique que montrent nos cellules à l'utilisation des différents substrats énergétiques. Elle a  par contre pour elle la simplicité.

Grâce à elle, des générations de diététiciens ont pu dire (sans rire) à leurs patients obèses qu'il suffisait de manger moins pour maigrir et que si on ne maigrissait plus, c'est qu'il fallait manger moins encore.

Les patients (en tout cas ceux qui ne s'étaient jamais privés de rien) soumis à telles diètes hypocaloriques bien calculées montrèrent évidemment une belle perte de poids. Voici donc que l'hypothèse de départ était coulée en force de loi par l'expérimentation clinique, voici que ses résultats étaient reproductibles par différents expérimentateurs.

Mais certains  patients n'obtinrent pas de résultat du tout ou maigrirent beaucoup moins que prévu et beaucoup plus lentement. D'autres, après avoir bien maigri lors des premières cures et avoir chaque fois repris plus de poids qu'au départ dès l'arrêt de la privation calorique, ne parvirent plus à perdre quelques centaines de grammes immédiatement récupérés à la moindre "incartade", qu'à grand peine et suite à grande privation.

Ces nombreux cas rebelles furent  classés sans vergogne dans le tiroir des psychopathes, tricheurs, mystificateurs, hystériques, menteurs et autres gourmands n'ayant d'autre but dans la vie que de se goinfrer honteusement en cachette afin   d'embêter le thérapeute qui a pourtant bien d'autres chats à fouetter.

L'affaire a donc été longtemps simple et entendue:

celui qui désire maigrir mangera moins.

S'il ne maigrit pas, c'est parce qu'il triche.

L'étiologie autant que la pathogénie restant dans le camp des patients, tout était pour l mieux  dans le meilleur des mondes caloriphobes.

Il est vrai que les premières tentatives de pertes de poids sous régime hypocalorique standard donnent de bons, voire d'excellents résultats.  A l'arrêt du régime, les mauvaises habitudes alimentaires sont trop souvent rapidement reprises, et la grimpette pondérale reprend, atteignant et dépassant le poids de départ, comme s'il n'y avait pas eu de régime.

Les bruits selon lesquels, après un régime, la reprise de poids est plus forte qu'avant sont malheureusement vérifiables dans la pratique journalière. Si plus aucune modification des habitudes  diététique n'est suivie à long (très long) terme, le poids remonte toujours. Et ce, quelle que soit la diète de départ.

Un des désagrément des régimes hypocaloriques standardisés repose dans le fait que les effets ne sont pas toujours reproductibles dans le temps.

Le premier régime hypocalorique fonctionne parfaitement bien et le second aussi.  Ensuite, à privation calorique égale, la perte pondérale se fait de plus en plus faiblement et lentement, les résultats se font attendre, à en désespérer. Enfin, vient le jour honni où, malgré des sacrifices inhumains, le poids reste stable ou même continue à monter en cours de diète...

Ce jour-là, plus rien n'est à comprendre si l'on s'en tient strictement au décompte mathématique des calories ingérées.

Le métabolisme humain possède la bienvenue et efficace capacité de s'adapter à la restriction alimentaire. Moins on mange, et moins le corps utilise d'énergie pour faire le même travail.

Cette faculté essentielle de réaction à la disette est vraisemblablement programmée  génétiquement. Différentes études de groupes de populations isolées ont même pu mettre en évidence une transmission génétique de ces adaptations métaboliques spécifiques au milieu. Il semble donc que le métabolisme humain puisse mettre en route des mécanismes de réduction de ses besoins énergétiques en période de restriction alimentaire.

Ces mécanismes adaptatifs vitaux auront  permis à l'homme de survivre aux différentes périodes glaciaires, disettes, sécheresses,  famines etc... qui émaillèrent l'histoire de l'humanité jusqu'il y a très peu de temps. Ce ne sont certes pas les deux ou trois dernières décennies d'abondance qui ont pu modifier les millions d'années de privations de nos ancêtres.

Nous sommes donc encore nantis d'un métabolisme d'hommes des cavernes, ayant la magnifique capacité de stocker un maximum de la nourriture ingérée afin de faire face aisément aux périodes de restriction alimentaire. La femme plus encore que l'homme doit posséder les mécanismes de défense contre les trous énergétiques - grands consommateurs de muscles - puisqu'elle doit pouvoir porter en elle en toute sécurité la descendance évolutive de la molécule d'ADN primordiale. L'être humain est ainsi un accumulateur calorique particulièrement avare de ses économies énergétiques.

Plus un régime hypocalorique est répété, plus son rendement diminue, et moins il faut manger pour maigrir.

Plus on le recommence, plus on s'adapte. et moins on maigrit

Ce sont les mécanismes d'adaptation.

chaque fois qu'un mécanisme réducteur de consommation d'énergie est "inventé" par le métabolisme, il semble soigneusement mémorisé. A chaque fois qu'un régime "déstructuré" ou "désynchronisé" est recommencé, l'organisme se remémore facilement les défenses mises au point contre les pertes d'énergie lors de précédents régimes et les met immédiatement en application, tout en inventant d'autres systèmes anti-déperdition.

L'élément qui déclenche la mise en route et l'invention des défenses anti déperdition calorique me semble être l'exposition répétée aux "trous énergétiques".  A force d'être soumis à des  privations répétées, après avoir contré de nombreuses périodes de déficit calorique aigu, le métabolisme a mis en mémoire tous les outils adaptatifs nécessaires pour ne plus maigrir lorsqu'il est exposé à nouveau à la restriction calorique. Les mécanismes de défense contre les trous énergétiques sont tellement profondément ancrés dans les habitudes métaboliques que le corps diminue finalement  en permanence ses besoins caloriques.

A ce moment est atteint l'état de "super-adaptation" .
Ceci a pour conséquence qu'il devient possible de grossir tout en absorbant moins de calories qu'avant les régimes successifs. Le corps a donc progressivement appris à profiter des périodes de "disette" répétées pour fourbir les armes qui lui permettront de faire des réserves avec une nutrition considérée jusqu'à là comme normale et iso calorique.

Combien de fois par jour ne voyons-nous de patients se plaignant de grossir, alors que leur décompte calorique n'est pas excessif, et de très loin ? Combien ne voyons-nous pas de patients se plaignant de ne plus pouvoir manger la moitié de ce qu'ils consommaient "avant" sans immédiatement se voir sanctionnés par le développement de bourrelets graisseux de plus en plus difficiles à évacuer ? Combien de voyons-nous pas de patients se plaindre d'un excédent de poids réel alors même qu'ils mangent chroniquement beaucoup moins qu'avant.

La théorie des calories n'est ni fausse ni inutile, comme certains aiment à le prétendre, mais son efficacité est limitée dans le temps par la répétition des régimes hypocaloriques. La théorie des calories doit donc être compensée par celle des adaptations et super-adaptations métaboliques, ainsi que par le respect des rythmes alimentaires circadiens.

Certains ont pensé avoir eu la peau de la théorie calorique en imposant un diète sans hydrates de carbones.